dimanche 1 avril 2012

Déboussolé

Ce n'est pas un canular du 1er avril, la scène a bien été tournée au meeting de Sarkozy à Strasbourg ce jeudi 22 mars 2012, par Nicolas Froehner, journaliste pour l'AFP :



Verbatim : "Bonsoir Monsieur.
- Le discours de Nicolas Sarkozy, qu'en avez-vous pensé ?
Je suis convaincu que je voterai, euh..., Mélenchon, parce qu'il m'a complétement déstabilisé. C'est pas du tout le discours que j'attends d'un président de la République. C'est un discours qui divise les Français et moi j'attends d'un président un discours qui rassemble et qui est capable d'unir la France. Et pas ce genre de discours, qui est proche de..., d'un discours que Pétain aurait pu tenir. C'est une honte pour la France.


Une petite analyse toute personnelle de ce qui peut amener ce Gaulliste (à en croire la référence à Pétain) à voter Mélenchon.

La division politique que l'on connait tous est l'opposition Droite / Gauche qui reprend une opposition Élite / Peuple, Capital / Travail que la droite préfère caractériser comme Économie / Social.

Mais une autre opposition, qui est déterminante chez les Étasuniens entre Démocrates et Républicains, et qui traverse l'ensemble du monde politique français, mais toujours tue, est autour de la conception de l’État. Et je vous promets que c'est un sujet d'engueulade de même ampleur.

On connaît l'affrontement Jacobins / Girondins lors de la Révolution, mais cette opposition est bien plus ancienne. On la retrouve entre Louis XIV et la Fronde (les féodaux qui veulent arracher du pouvoir à l’État central) et peut-être aussi entre Catholiques et Protestants à l'époque des guerres de religion. Quoi qu'on pense des excès, le centralisme a toujours gagné en France. L'idée républicaine en est directement issue : c'est parce que l’État est fort qu'il peut imposer l'égalité des droits et des devoirs sur l'ensemble du territoire.

C'est une différence essentielle avec le modèle allemand qui n'a pas connu d’État central avant la fin du XIXe et où l’expérience d'un État normatif s'est perdu dans le totalitarisme. On s'extasie du pouvoir des Länder ou des négociations dans l'entreprise, mais le revers c'est l'inégalité sur le territoire (même les diplômes y sont régionaux) et la supériorité du contrat sur la norme établie par l’État : une entreprise qui ne signe pas la convention collective n'a pas à l'appliquer, alors qu'en France les accords de branche s'imposent. En conséquence le SMIC n'existe pas et par exemple l'agriculture allemande est actuellement favorisée par l'exploitation de la main-d'oeuvre de l'Est sous payée (ce qui est aussi vrai dans beaucoup d'industries). Les Allemands sont actuellement les champions du dumping social européen, ce qui explique leurs parts de marché sur le reste du continent (ils font leurs excédents à l'intérieur de l'Europe et sont comme tous déficitaire vis-à-vis des Chinois).

Passée cette digression, retour à notre bonhomme.

Le spectre politique français reprend cette opposition. D'un côté ceux qui pensent que l’État doit imposer des normes, que l'on a appelé "souverainiste" (Le Pen, Dupont-Aignan, Mélenchon, ext. Gauche), de l'autre une pensée plus libérale, au sens politique mais aussi économique (Hollande, Bayrou), où d'autres échelons (régions, Europe) et d'autres contrats que les élections limitent le pouvoir normatif de l’État. Les Verts et l'UMP sont beaucoup plus divisés sur le sujet et ont des ténors d'avis opposés, mais plutôt une dominante libérale. On retrouve les deux camps du référendum européen, avec un éclaircissement côté PS, puisque l'aile normative représentée par Mélenchon en est sortie.

Du temps de Mitterrand les deux tendances cohabitaient dans le PS (Defferre et Chevènement). Depuis une tendance a pris le pouvoir et Mélenchon est peut-être en train de réussir ce que Chevénement a raté, faire réexister un courant qui ne se faisait plus entendre. Parallèlement à droite, le mouvement est inverse : les Gaullistes étaient avant tout pour la force normative de l'État (ce qui explique l'existence de Gaullistes de gauche de Chaban à Séguin). L'UDF s'était construite en opposition en étant européenne, régionaliste et libérale, ce dont a hérité le Modem. L'UMP a voulu tout rassembler, elle y a perdu en cohérence et Sarkozy lui-même ne fait pas vraiment preuve de cette qualité. Cependant il a posé des actes qui sont absolument anti-gaullistes : la constitution européenne qui consacrait (en interdisant de revenir dessus) le retour plein
 dans l'OTAN et le libre-échange, est absolument contraire à l'esprit du Gaullisme. Surtout, et je crois que la rupture est fondamentale, faire voter par les assemblées  ("le régime des partis"), un texte refusé par le peuple (le souverain), est pour eux un casus belli. 
Dessin de Jul paru dans Charlie Hebdo le 25 avril 2007
Et c'est là que se trouve la passerelle : sur ces sujets, Mélenchon est Gaulliste. Il y a encore d'autres échos si on ajoute toute la partie interventionniste de son programme ("planification écologique", grands-travaux type exploitation de "la deuxième zone maritime mondiale", maintien des industries de souveraineté, contrôle de la banque centrale...), le recours au peuple (constituante, référendum sur le nucléaire,...), trémolos sur la grandeur de la nation (on notera la présence de drapeaux tricolores dans chacun de ses meetings) et talent oratoire.

Il n'est pas étonnant en plus que, croyant à la mythologie "d'un homme à la rencontre d'un peuple", ce que Mélenchon lui-même réprouve, les succès populaires de ses rassemblements réveillent chez notre Gaulliste quelque espoir. C'est certainement ce qui l'éloigne des votes Dupont-Aignan ou Cheminade, représentants autoproclamés du Gaullisme dans cette élection..

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire