lundi 28 mai 2012

Lui, président de la République

Ça y est ! Enfin trois journalistes relèvent le défi. Dans le grand courant de mode du « fact checking », trois étudiants de l’école de journalisme de Lille (ESJ) décident de faire leur boulot. Ils vont vérifier !
Si ! si ! Pour la première fois après des élections, ils vont vérifier la tenue des promesses de campagne.

C’est la Voix du Nord qui relaie l’information : « les trois jeunes gens ne se sont pas contentés de reprendre les fameux soixante engagements, mais les ont étoffés des déclarations orales ou parues dans la presse de François Hollande. » Ils en ont pour l’instant recensés 222.

À l’imitation du site politifact.com qui suit la tenue des promesses  de Barack Obama, Corentin Dautreppe, Clément Parrot et Maxime Vaudano se sont fixé pour tâche de tenir le baromètre sur leur site : luipresident.fr.
N’y a-t-il que des jeunes pour avoir l’audace de croire en leur métier, au point que l’initiative n’ait pas effleuré la conscience des grands médias ?

Bon courage à vous, et au long cours s'il vous plait, on compte sur vous jusqu'en 2017...

dimanche 27 mai 2012

Le blanc est-il une couleur ?

Le Figaro a publié en janvier des exemples de questionnaires qui devraient être posés à partir de juillet 2012 pour obtenir la naturalisation française. Ils sont aussi intelligents que les tests de QI puisqu'ils mesurent une pensée commune. Je serais surpris que tous les Français sachent répondre (si tant est, déjà, qu'ils sachent tous lire). Je n'ai pas entendu François Hollande ou Manuel Valls remettre en cause le bien-fondé de l'exercice.

Je passe sur la faute d'orthographe à "Libye" et note que pour être Français il faut savoir qui sont Michel Platini, Brigitte Bardot ou Edith Piaf et que pour ma part je serais tenté de répondre :
  • par "les trois" à
À qui associez-vous l’Arc de Triomphe ?
Napoléon
le général de Gaulle
Jules César
  • par "ça dépend" à
La loi est votée par :
le Président de la République
l’Assemblée nationale et le Sénat  
les habitants de la France
  • je ne trouverais pas mon compte, surtout depuis le quinquennat, dans :
Le régime politique de la France est :  
une monarchie constitutionnelle
une République à régime semi-présidentiel
une monarchie absolue
  • je serais très embêté par la question :
Le drapeau français possède :
trois couleurs
une couleur et dix étoiles
deux couleurs

Je relève en passant que la question de la date de l'abolition de l'esclavage est ambiguë suivant que l'on parle d'abolition définitive, de traite ou de territoire métropolitain. J'en vois au moins sept : 1789, 1794, 1818, 1848, 1905, 1948, 1955. Heureusement une seule y figure.

Ensuite les Basques et les hommes de Cro-Magnon risquent de ne pas goûter cette question-ci :
Les premiers peuples connus qui ont habité la France sont :
les Crétois  
les Gaulois
les François

Doit-on enfin croire que les lois actuelles (âge de scolarité obligatoire, direction du Gouvernement, âge légal du vote, ...) sont consubstantielle à la nature du Français ?

Je vous reproduis le tout, c'est instructif :



EXEMPLE QUESTIONNAIRE N°1 

1) À quelle période de l’histoire se rattache la construction du château de Versailles ?
celle de Napoléon
celle de Louis XIV
celle de Louis-Philippe

2) À qui associez-vous l’Arc de Triomphe ?
Napoléon
le général de Gaulle
Jules César

3) Pendant quelle période de l’histoire ont été bâties les cathédrales gothiques ?
le Moyen-âge  
la Révolution française
l’Antiquité

4) Les châteaux de la Loire datent :
du XXème siècle
de la Renaissance
de la Révolution française

5) À quoi servait la Bastille avant sa démolition ?
à un hôtel  
à une prison
à un opéra

6) La guerre de Cent ans s’est déroulée :
au Moyen-âge  
sous le règne de Louis XIV
en 1914

7) À quelle guerre fait référence la bataille de Verdun ?
la guerre d’Algérie  
la première guerre mondiale
la seconde guerre mondiale

8 ) La Tour Eiffel été construite : 
pour l’exposition universelle de 1889
pour attirer les touristes
pour installer les antennes de télévision

9) La Grande mosquée de Paris été inaugurée :
avant la Révolution
entre les deux guerres
l’année dernière

10) La première guerre mondiale s’est déroulée :
entre 1914 et 1918  
entre 1946 et 1962
entre 1720 et 1723

11) Les guerres de religion, au XVIème siècle, ont opposé :
catholiques et protestants
chrétiens et musulmans
écoles publiques et écoles privées

12) Le discours du général de Gaulle appelant la résistance se situe :
dans le cadre de la seconde guerre mondiale
dans le cadre de la guerre contre les Anglais
pendant les évènements de mai 1968

13) Lequel de ces trois hommes n’a pas été Président de la République ?
Valéry Giscard d’Estaing
François Mitterrand
Victor Hugo

14) À quelle période de l’histoire se rattache la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ?
la libération de Paris
la Révolution française
la création de l’Europe

15) À quelle période de l’histoire se rattache Jeanne d’Arc ?
le Moyen Age
la deuxième Guerre mondiale
la Révolution française

 

EXEMPLE  QUESTIONNAIRE N°2 

1) Le Mont-Saint-Michel est situé :
en Méditerranée   
sur une île de la Seine
en Normandie

2) Au palais de l’Elysée loge :
le ministre de la justice  
le siège d’un groupe hôtelier  
le Président de la République

3) L’hymne de la France est :
la Marseillaise 
la Versaillaise
la Paimpolaise

4) Notre-Dame de Paris est :
un lieu de culte
un bâtiment administratif
une salle de concert

5) Dans lequel de ces trois pays le français n’est pas parlé :
la Suisse  
l’Espagne
l’Algérie

6) Le nom de la France provient :
des Francs
de la franchise  
de la langue française

7) Lequel de ces lieux est un musée :
le Louvre
les Galeries Lafayette  
le Futuroscope de Poitiers

8) Lequel de ces trois pays n’appartient pas l’espace européen :  
l’Ukraine  
le Danemark
la Pologne

9) La loi est votée par :
le Président de la République
l’Assemblée nationale et le Sénat  
les habitants de la France

10) Brigitte Bardot fut :  
une actrice de cinéma
la créatrice d’une maison de couture
la première femme championne de boxe

11) Auguste Rodin était :
un homme politique  
un chanteur
un sculpteur

12) L’Hôtel de Ville, c’est aussi :  
la mairie
l’auberge  
l’Assemblée nationale

13) Les Trois Mousquetaires est un roman :
du cardinal de Richelieu  
d’Alexandre Dumas
de Marcel Proust

14) Molière a écrit :
des pièces de théâtre
des livres de jardinage  
des romans policiers

15) De ces trois personnalités, laquelle n’est pas un chanteur :
Claude François
Michel Platini
Charles Trénet


EXEMPLE  QUESTIONNAIRE N°3 

1) Les femmes peuvent voter :  
depuis la Révolution française  
depuis 1944
depuis 2001

2) Lequel de ces trois pays n’a pas fait partie de l’Empire colonial français :
la Tunisie
le Maroc
la Lybie


3) Les premiers peuples connus qui ont habité la France sont :
les Crétois  
les Gaulois
les François

4) À quel homme politique se rattache la création de l’école publique, gratuite et obligatoire ?
Jules Ferry
Luc Ferry 
Jules Grévy

5)  Un pays dirigé par un roi est :
une monarchie  
une république
une province

6) En France, le catholicisme est :  
une religion officielle
une religion parmi d’autres
une religion interdite

 7) Le point culminant en France est :
le Mont Blanc
le Pic de Vignemale
le Kilimandjaro

8) Laquelle de ces îles n’est pas dans les Antilles françaises
la Martinique
Haïti
la Guadeloupe

9) Lequel de ces fleuves coule en France :
le Nil
la Loire
le Danube

10) Lequel de ces mots n’est pas dans la devise de la République :  
égalité
liberté
indépendance

11) Michel Platini est connu pour avoir joué :
du violon  
au football
aux échecs

12) Le Parlement européen siège à :
Luxembourg  
Cracovie
Strasbourg

13) L’école en France est obligatoire l’âge de :
trois ans  
six ans
dix ans

14) Pour pouvoir voter aux élections nationales, il faut :
être français  
appartenir un parti politique
payer l’impôt sur le revenu

15) Le Tour de France est :
une épreuve cycliste
un bâtiment  
une compétition de pétanque


EXEMPLE QUESTIONNAIRE N°4 

1) La Grotte de Lascaux contient :
une église souterraine  
des peintures préhistoriques
Des installations militaires

2) Le drapeau français possède :
trois couleurs
une couleur et dix étoiles
deux couleurs

3) Edith Piaf est :
une chanteuse
une championne de cyclisme
une spécialiste des oiseaux

4) Quelle est la date de la fête nationale française ?
4 juillet
14 juillet  
4 août

5) Jusqu’à quel âge la scolarisation d’un enfant est-elle obligatoire ?
12 ans  
14 ans
16 ans

6) Le régime politique de la France est :  
une monarchie constitutionnelle
une République à régime semi-présidentiel
une monarchie absolue

7) Le Gouvernement français est dirigé par :
le président de la République
le Premier ministre
le président du Conseil  

8) Laquelle de ces montagnes n’est pas en France :
le Mont Blanc  
le Mont Zeppelin
le Mont Canigou

9) Lequel de ces pays n’a pas de frontière avec la France :
la Belgique
les Pays-Bas
l’Italie

10) À partir de quel âge a-t-on le droit de voter en France :
16 ans
18 ans
21 ans

11) L’abolition de l’esclavage en France date de :
1848
1918
1968

12) Le gouvernement du Front populaire été constitué :
en 1876
en 1916
en 1936

13) Qui était Jean Moulin ?
un chanteur de l’entre-deux guerres
un préfet entré dans la Résistance
un ministre du général de Gaulle


14) La Constitution de la Vème République été adoptée :
en 1918
en 1945
en 1958

15) Le président de la République française :
est élu au suffrage universel
est nommé par le chef du gouvernement
est nommé par le Parlement réuni en congrès

lundi 21 mai 2012

À gauche, toutes !

Voilà au moins vingt ans que l’on entend sur toutes les ondes le constat de décès des communistes. Le moins qu’on ne puisse dire, c’est que le cadavre bouge encore.

Le Parti communiste français s’il est incontestablement bien moins puissant aujourd’hui que du temps des trente glorieuses, conserve de bons scores dans les mairies, conseils généraux, à l’Assemblée nationale, au Sénat et ce, contrairement au Front national qui n’a au mieux que dirigé quelques mairies temporairement et avec le succès que l’on sait (le scrutin proportionnel de 1986 leur a aussi donné un groupe parlementaire jusqu’en 1988).  Raison pour laquelle le Front national a tant de mal (officiellement) a recueillir ses 500 signatures de parrainage à l'élection présidentielle.

Les Radicaux de gauche aussi me direz-vous ont une bonne représentation locale. Mais à la différence du PRG, la plupart du temps le PCF présente des candidats contre les socialistes ou leurs alliés. Leur survie est donc autonome et leur déclin d’ailleurs grandement lié à leur satellisation dans les gouvernements d’union de la gauche, y compris celui du tournant de la rigueur de 1983.

Cette dernière élection présidentielle de 2012 est la première depuis 1974 à ne pas voir de candidat du PCF se présenter. A l’époque le Programme commun avait décidé de présenter comme unique candidat François Mitterrand ce qui fait de ce scrutin un cas à part. Mais à la gauche du Parti socialiste les tendances ont toujours été multiples (les chiffres sont disponibles sur le site de france-politique) :

 
Résultats à la gauche du PS depuis 1974

Les variétés de communistes comptent de rares dissidents comme l’ex-stalinien devenu rénovateur, Pierre Juquin dont l’échec en 1988 (1,7% des inscrits) enterra les ambitions. Surtout, comptés à l’extrême gauche parce que préférant le grand soir à la participation à un gouvernement bourgeois, les frères ennemis trotskistes n’en finissent pas d’étaler leur divisions.

Longtemps Arlette Laguiller, auréolée d’un combat syndical dur en 1974 dans le secteur bancaire, a été la plus visible de ses représentants. Lutte ouvrière, grâce à elle a fait une percée remarquée en 1995 et 2002 en rassemblant 4% des inscrits. C’est le seul mouvement trotskiste à présenter sans discontinuer des candidats depuis 1974. Traditionnellement son intransigeance amène le refus d’appeler à voter pour le candidat de gauche le mieux placé, et a fortiori quand il s’agit d’un candidat de droite : le second tour Jacques Chirac / Jean-Marie Le Pen en 2002 a été pour beaucoup dans la prise de conscience de son électorat d’une adhésion de Lutte ouvrière à la politique du pire, sensée créer les conditions d’une révolution. Nathalie Arthaud continue dans la ligne.

C’est suite à cette erreur politique que prend essor la Ligue communiste révolutionnaire, qui, revenue de l’humiliation d’Alain Krivine en 1974  (0,31% des inscrits) reprend des couleurs avec le très médiatique et habile Olivier Besancenot près de 30 ans plus tard. 2002 voit les orphelins de la gauche se disperser au mot d’ordre de Lionel Jospin, lui même ancien trotskiste lambertiste : « mon programme n’est pas socialiste ». C’est donc en toute logique que la gauche non gouvernementale remporte alors son plus beau succès : plus de 7% des inscrits. Besancenot se remplume encore la fois suivante et devient le premier représentant de la gauche de la gauche avec 3,4% des inscrits. Voulant transformer l’essai, la LCR cherche à fédérer l’ensemble de cette mouvance en créant le Nouveau Parti anti-capitaliste. Les divisions picrocholines reprennent le dessus après la polémique sur la présentation d’une femme voilée aux élections et Besancenot achève l’élan en refusant de se présenter en 2012, cédant la place au premier au concours de circonstance : Philippe Poutou. S’il conserve la première place à l’extrême gauche, il n’atteint pas  1% et tout semble à refaire.

Un mot sur les plus anecdotiques de la mouvance trotskiste. Des lambertistes de l’Organisation communiste internationale se présentent de temps à autre sous des noms divers (MPPT, PT, CNRD). Ils sont bien meilleurs dans l’entrisme qu’aux élections présidentielles où leurs candidats (Pierre Boussel dit Pierre Lambert, Daniel Gluckstein, Gérard  Schivardi) ne décolle pas de 0,3% des inscrits.

Une mention aussi pour la gauche du PS qui avant Jean-Luc Mélenchon ne se fait pas vraiment remarquer : le Parti socialiste unifié représenté par Huguette Bouchardeau en 1981 (0,9%) et l’électron libre José Bové en 2007 (1,1%).

Restent donc les communistes partis en 1981 avec 12,2% des inscrits autour de Georges Marchais, ils en perdent la moitié après leur première expérience gouvernementale de la Ve République : 5,4% en 1988, 6,6% en 1995. Nouvelle participation au gouvernement et nouvelle chute de moitié : 2,9% en 2002 et 3,4% en 2007. Surtout, lors de ces deux scrutins, ils se font distancés par les candidats trotskistes : voilà le sang de Léon Trotski vengé dans les urnes ! Le PCF pâtit aussi bien sûr de la chute du mur de Berlin (1989) et de la dissolution de l’URSS (1991), l’espérance communiste y a perdu ses ailes internationales.
Leur ancien candidat (1995 et 2002) et Secrétaire général Robert Hue finit même par quitter le Parti et en vient à soutenir la candidature de François Hollande en 2012 dès le premier tour. C’est le bouillon de minuit.

Survient alors l’étonnant pari de Jean-Luc Mélenchon, ancien lambertiste lui aussi. Quittant le PS au cours du tragicomique Congrès de Reims en 2008, il décide de représenter l’aile gauche de celui-ci à l’extérieur du PS en créant le Parti de gauche. Réussissant à convaincre le PCF de ne pas prendre le risque d’un nouvel échec aux présidentielles, il réussit à s’en faire adouber en l’échange d’une surreprésentation du PCF aux législatives. La coalition qui prend le nom de Front de gauche agrège quelques autres petites formations et réussi là où le Nouveau Parti anti-capitaliste a échoué. Un temps donné dans les sondages à 17-18% des votants, il parvient à plus de 11%, mais seulement à 8,7% des inscrits. Il écrase tous ses compétiteurs de gauche, mais la gauche du PS reste dans l’étiage moyen qui est le sien depuis 1988, aux environ de 10% des inscrits. L’effet « vote utile » très fort à gauche depuis le traumatisme de 2002 ne lui a pas permis d’atteindre ses espérances. Pour l’instant, et l’avenir dira comment évolueront les choses, le vainqueur de l’expérience semble être le PCF qui ne devrait pas avoir trop de mal à préserver son groupe parlementaire à l’issue des législatives à venir. Je serais en tout cas surpris de leur participation au gouvernement.

dimanche 20 mai 2012

Un pavé dans le marigot du Conseil constitutionnel

Le Monde a publié cette tribune bienvenue de l'ancien Garde des sceaux Robert Badinter hier samedi 19 mai sous le titre "L'exception française de trop". Il y explique clairement l'absurdité de la nomination des anciens Présidents dans ce qui est devenu une véritable cour constitutionnelle. Je n'ai rien à y ajouter.

L'ancien garde des Sceaux, Robert Badinter. 

"Le départ de Nicolas Sarkozy de l'Elysée et sa volonté proclamée de siéger au Conseil constitutionnel mettent à nouveau en lumière l'insoutenable paradoxe de la présence à vie des anciens présidents de la République dans cette institution.
Rappelons d'abord que, seule de toutes les démocraties occidentales, la République française fait de ses ex-présidents des membres perpétuels d'une juridiction constitutionnelle. En Italie, par exemple, les présidents de la République au terme de leurs fonctions sont nommés sénateurs à vie. Mais dans une instance juridictionnelle dont la mission première est de juger en droit si des lois votées sont conformes à la Constitution, en quoi la présence à vie des anciens présidents est-elle requise ?
Seule l'histoire explique cette exception, cette bizarrerie française. En 1958, tandis que sous l'autorité du général de Gaulle et la férule de Michel Debré s'élaborait la Constitution de la Ve République, se posa la question très secondaire de la condition faite aux ex-présidents de la République. Le général de Gaulle entendait que le président René Coty, qui l'avait appelé à revenir au pouvoir, bénéficiât d'une condition convenable sous la Ve République. Or la IVe République traitait avec pingrerie ses anciens présidents. Au terme de leur mandat, ils bénéficiaient d'une retraite équivalente à celle d'un conseiller d'Etat.
Pareil traitement parut mesquin au général de Gaulle, par ailleurs pour lui-même totalement désintéressé. Il considérait qu'il y avait là pour le président Coty et pour son prédécesseur, Vincent Auriol, une forme d'ingratitude de la République à laquelle il convenait de remédier. Le Comité consultatif constitutionnel proposa donc de nommer les anciens présidents membres à vie du Conseil constitutionnel nouvellement créé.
Ainsi, les anciens présidents bénéficieraient d'une fonction très honorable, convenablement rémunérée, et qui ne requerrait qu'une faible activité de leur part, puisque, outre le contentieux des élections nationales, le Conseil constitutionnel ne statuait sur la constitutionnalité des lois que lorsqu'il était saisi par les plus hautes autorités de l'Etat, le président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le premier ministre. Dans la conjoncture politique de l'époque, ces saisines n'avaient rien d'accablant : de 1958 à 1975, le Conseil constitutionnel connut soixante saisines, soit entre trois et quatre par an en moyenne...
Cette solution parut élégante à tous égards. Le président Coty s'en trouva bien, qui siégea jusqu'à sa mort, en 1962, au Conseil constitutionnel. En revanche, le président Auriol refusa de siéger après 1960, manifestant son opposition à la pratique des institutions de la Ve République voulue par le général de Gaulle.
Les décennies ont passé, et la situation d'origine s'est transformée. En premier lieu, la condition matérielle des anciens présidents de la République s'est améliorée au fil des présidences. Leur donner une rémunération complémentaire comme membre du Conseil constitutionnel ne paraît plus nécessaire, contrairement à ce qui était le cas en 1958. Mais c'est au regard du Conseil constitutionnel lui-même que la présence à vie des anciens présidents s'avère comme une aberration institutionnelle.
Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres nommés pour neuf ans, renouvelables par tiers tous les trois ans. Il revient au président de la République, au président de l'Assemblée nationale et à celui du Sénat d'en nommer les membres, après avis d'une commission parlementaire qui peut s'y opposer par un vote négatif des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Ainsi ces membres jouissent-ils d'une double légitimité : celle de la désignation par l'une des plus hautes autorités de l'Etat, et celle d'un contrôle - limité - d'une commission parlementaire.
Rien de tel dans le cas des anciens présidents. Ils font de droit partie du Conseil constitutionnel à l'expiration de leur mandat en application de l'article 56-2 de la Constitution. Ils ne prêtent pas serment comme les membres nommés du Conseil lors de leur prise de fonctions devant le président de la République. De ce fait, a déclaré Valéry Giscard d'Estaing, ils ne sont pas tenus de respecter toutes les obligations qui pèsent sur les membres du Conseil, notamment celle de ne pas intervenir publiquement dans les débats politiques. Ils ne sont pas soumis au régime disciplinaire qui pèse sur les autres membres du Conseil. Qu'ils fassent l'objet de condamnations pénales ne les expose à aucune mesure de suspension, voire de révocation de leurs fonctions. Ainsi, un ancien président de la République condamné en justice peut en toute légalité demeurer sa vie durant membre du Conseil constitutionnel.
Surtout, le Conseil constitutionnel a connu depuis 1958 une véritable révolution institutionnelle. Depuis 1974, grâce à la réforme conduite par le président Giscard d'Estaing, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour décider de l'inconstitutionnalité éventuelle d'une loi votée par la majorité parlementaire.
Le rôle du Conseil constitutionnel s'est trouvé transformé par cette réforme. D'organe régulateur de la Constitution, il est devenu en fait une véritable Cour constitutionnelle saisie par l'opposition de toutes les lois importantes votées par la majorité pour apprécier leur constitutionnalité. Il est l'auteur d'un véritable "corpus" de jurisprudence constitutionnelle. Il est considéré comme une véritable Cour constitutionnelle par les autres juridictions constitutionnelles, notamment en Europe.
Restait à ouvrir aux justiciables la porte du Conseil constitutionnel. En 1989, je proposai que soit reconnu aux justiciables français le droit de demander qu'une loi invoquée contre eux en justice puisse être déclarée inconstitutionnelle par le Conseil. Le président François Mitterrand donna son accord à cette nouvelle garantie des droits fondamentaux en France. L'Assemblée nationale, à majorité de gauche, adopta le projet de loi constitutionnelle en 1990. Le Sénat, à majorité de droite, s'y opposa.
En 1993, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Georges Vedel, puis, en 2007, la commission Balladur proposèrent à nouveau la création de cette exception d'inconstitutionnalité. Il est à l'honneur du président Nicolas Sarkozy de l'avoir incluse dans la révision de 2008 sous la dénomination de "Question prioritaire de constitutionnalité" (QPC).
Dès sa mise en oeuvre, réalisée au Conseil constitutionnel sous la présidence de Jean-Louis Debré, cette réforme a répondu aux espérances de ses partisans. La QPC a achevé de transformer le Conseil constitutionnel en instance juridictionnelle. Se pose dès lors avec plus d'acuité encore la question de sa composition : pourquoi appeler les ex-présidents de la République à siéger à vie dans une juridiction constitutionnelle ? Le président Giscard d'Estaing a considéré qu'étant adversaire de la QPC, il ne siégerait pas dans les séances du Conseil consacrées à leur examen. Pareille attitude souveraine illustre l'anachronisme de la présence des anciens présidents au sein du Conseil. Quelle instance juridictionnelle peut s'en remettre au bon plaisir de ses membres pour déterminer l'étendue de leurs fonctions ?
Surtout, l'arrivée du président Sarkozy au Conseil constitutionnel met en lumière le risque de déstabilisation et la composition de l'institution dans l'avenir. En 1958, le mandat présidentiel était de sept ans. Il est aujourd'hui de cinq ans, renouvelable une fois. Le président Sarkozy est dans la force de l'âge, comme le président Hollande. La durée de vie s'allongeant, on verra d'anciens présidents, toujours plus nombreux, siéger pendant des décennies en sus des membres nommés pour neuf ans.
J'évoquerai à ce sujet la réaction que suscita un jour aux Etats Unis, où je présentai à des juristes américains le Conseil constitutionnel, cette composition mixte de l'institution. L'un des intervenants fit remarquer qu'à imiter la France, la Cour suprême des Etats-Unis - dont les membres sont nommés à vie après une procédure rigoureuse et publique - compterait comme membres les présidents Jimmy Carter, George Bush, Bill Clinton et George W. Bush ! A cette évocation, une hilarité générale secoua la salle, et j'eus le sentiment que, depuis Montesquieu, la raison constitutionnelle française avait perdu de son éclat chez nos amis américains !
Il n'est que temps d'en finir avec cette aberration institutionnelle. En 2008, lors de la révision constitutionnelle, le Sénat, à une large majorité, avait voté la suppression de la présence des anciens présidents au sein du Conseil, comme le proposait le comité Balladur. La majorité de l'Assemblée nationale revint sur ce vote. Un collègue influent de la majorité me confia que l'Elysée n'avait pas été étranger à ce choix...
Nous attendons donc du président Hollande qu'à l'occasion de la révision annoncée du statut du président de la République, il soit mis un terme à cette insoutenable exception française. Si la passion de juger de la constitutionnalité des lois anime d'anciens présidents, ils pourront toujours être nommés membres du Conseil constitutionnel pour neuf ans par l'un de leurs successeurs ou le président de l'une ou l'autre des assemblées.
Ainsi pourront-ils exercer la fonction de juger au sein du Conseil constitutionnel dans les mêmes conditions et avec le même statut que les autres membres. Le Conseil constitutionnel et l'Etat de droit n'auront donc rien à perdre à cette réforme et la crédibilité de l'institution et sa renommée internationale ne manqueront pas d'y gagner."

Né le 30 mars 1928, il a exercé les fonctions d'avocat à la cour d'appel de Paris (1951-1981). Il a lutté contre la peine de mort, dont il a obtenu, en tant que garde des sceaux, l'abolition, le 9 octobre 1981. Il fut président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, puis sénateur (PS) des Hauts-de-Seine de 1995 à 2011.

dimanche 6 mai 2012

Et le vainqueur est... (v2)

...Kiro pour ses prévisions de début 2010 :

Dessin de Kiro paru dans le Canard enchaîné du 17 mars 2010